Stille Nacht, heilige Nacht ° ° °

Publié le par MetlFixxxer

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     Décembre 1914, la bataille fait rage dans les tranchées du nord de la France. Les ennemis (Français et Ecossais d'un côté, Allemands de l'autre) ne sont pourtant terrés qu'à quelques jets de pierre les uns des autres. La veille de Noël, les écossais sortent leurs cornemuses et chantent. Immédiatement après, un soldat allemand, célèbre ténor dans la vie civile, se met à chanter lui aussi... et une cornemuse vient l'accompagner. S'ensuit une fraternisation exceptionnelle, comme si le temps s'était arrêté, suspendu pour permettre à ces soldats, qui ne demandent rien d'autre que de rentrer serrer leur femme et leurs enfants dans leur bras, de fêter Noël comme des humains, et non pas comme des machines à tuer. Il ne s'agit pas d'une fiction, cela s'est réellement passé comme ça, un peu partout sur la ligne de front en 1914 et un peu moins en 1915. L'histoire semble avoir voulu oublier ces moments, les soldats ayant fraternisé avec l'ennemi ont été considérés comme des lâches... mais ils étaient fiers de ce qu'ils avaient fait, un acte incroyablement humain."Joyeux Noël", le dernier film de Christian Carion, retrace ce moment exceptionnel, avec des acteurs tels que Guillaume Canet, Daniel Brühl ("Good Bye Lenin"), Dany Boon, Diane Krüger, et même Michel Serrault. Il ne s'agit pas d'un film de guerre, mais d'un film de paix. Cette coproduction européenne splendidement réalisée offre au spectateur la possibilité de se mettre dans la peau de n'importe quel soldat, qu'il soit allemand, écossais ou français, et ce sans prendre parti pour un camp en particulier. Le but n'est évidemment pas de donner tort ou raison à l'un ou l'autre, mais bien de mettre en avant ce qu'ont pu ressentir des hommes envoyés tuer d'autres hommes, qui finalement avaient plus de choses en commun avec leurs ennemis qu'avec leurs supérieurs, ces décideurs qui restaient "chez eux, bien au chaud devant leur dinde aux marrons".

     L'absurdité de la guerre est ici brillament mise en exergue, on lit véritablement le désespoir dans les yeux des soldats, et leur joie de découvrir que leurs ennemis sont comme eux, finalement. Ils n'hésitent alors pas à partager les bouteilles que l'état-major leur avait envoyées comme cadeau de Noël, ils montrent les photos de leur bien-aimée et se complimentent mutuellement, essaient de parler la langue de l'autre, jouent au football, assistent à une messe en latin et enterrent même leurs morts ensemble. Les échanges sont marqués par un évident respect de l'ennemi, qui est devenu ami, un ami sur lequel il va falloir tirer une fois la trève terminée. Comment se regarder en face alors? Devrai-je tuer un combattant - un homme - avec qui j'ai trinqué la veille, qui comme nous ne désire qu'une chose, rejoindre son foyer? Serai-je contraint d'enfoncer ma baillonnette dans le corps innocent d'un soldat comme moi, emporté malgré lui dans le tourbillon de la guerre au nom d'une liberté et d'une légitimité relatives et douteuses?

 

     Impossible de ne pas être serré à la gorge à la vue de ces images, surtout si l'on garde à l'esprit que tout s'est réellement passé ainsi. Des frissons ont parcouru mon dos au cours de la projection, de la première à la dernière minute. Ce film fait réfléchir, sans l'ombre d'un doute. D'une part, il remet en question le concept de "guerre", et d'autre part il illustre ce fameux "esprit de Noël" dont on parle tant sans trop savoir de quoi il s'agit vraiment. Qu'est-ce que la guerre? Un groupe de politiciens et de généraux bien gras qui décide d'envoyer des hommes qu'ils ne connaissent pas se faire massacrer pour défendre leur patrie ou pousser un peu plus loin les frontières de leur territoire ; un des fléaux les plus destructeurs de l'histoire de l'humanité, et paradoxalement à l'origine de bon nombre de découvertes et d'inventions majeures au cours des siècles. La guerre transforme un être humain en animal, en plein combat la seule loi est la loi du plus fort. Tuer ou se faire tuer. Connaître la peur, la vraie misère, et l'affronter parce qu'on a pas le choix, parce que si on s'enfuit on se fait fusiller - pas de pitié pour les déserteurs - et parce que si on ne bouge pas, si on ne tire pas, l'ennemi le fera. Cet ennemi qui a autant peur que nous, cet ennemi qui ne veut pas mourir pour une guerre qui n'est pas la sienne. Cet ennemi qui n'en est un que parce que d'autres personnes en ont décidé ainsi. Dans tous les conflits armés, c'est le même scénario, sauf peut-être les plus récents, où le fanatisme et l'endoctrinement produisent des êtres qui ont perdu tout lien avec la réalité, ces guerres de l'information, de la manipulation, de la lâcheté, qui ne visent qu'à l'enrichissement.

     Cette histoire me rappelle un livre que j'ai lu il y a longtemps, mais que je n'ai jamais oublié : "A l'ouest, rien de nouveau" de Erich Maria Remarque, la vraie histoire d'un soldat allemand pendant la Grande Guerre, qui se rend également compte de l'absurdité de cette guerre. "Quand nous partons, nous ne sommes que de vulgaires soldats, maussades ou de bonne humeur et, quand nous arrivons dans la zone où commence le front, nous sommes devenus des hommes-bêtes..." Un poignant témoignage que je vous recommande de lire (disponible chez Livre de Poche, environ 200 pages seulement). Le message de ce livre est semblabe à celui de Joyeux Noël. Sur le front, on se bat à armes égales, tous les soldats sont les mêmes et partagent les mêmes peurs. En plein combat, la seule règle est qu'il n'y a pas de règle.  L'homme devient animal, livré à lui-même. Et ce n'est que dans une situation comme ça que l'on peut se rendre compte de cela, lorsque nos privilèges de la "vraie vie" n'ont plus aucune valeur, lorsque nous sommes tous sur le même pied d'égalité, alors que nous sommes à la fois proie et prédateur. Dans notre société, nous sommes constamment victimes et coupables d'arrogance envers les autres, nous voulons toujours nous élever, bien souvent en rabaissant les autres. Ce mode de vie, qui s'apparente de plus en plus à une compétition, doit sembler bien absurde lorsque les balles sifflent près des oreilles. Aussi absurde que la guerre elle-même. Quel paradoxe finalement, tout semble si absurde. Quel dommage, surtout, de souffrir de cette condition humaine qui nous empêche de garder cela à l'esprit.

 

 

     Je ne que peux conclure cet article en parlant de "l'esprit de Noël", c'est de circonstance après tout. Pourquoi ces soldats ont-ils donc attendu Noël pour fraterniser? Qu'est-ce qui rend cette fête si particulière? Elle était à la base religieuse, mais son sens originel a aujourd'hui presque disparu. Pourquoi, dans ce cas, cet esprit semble-t-il subsister? S'agirait-il d'un phénomène de masse que mes connaissances très réduites en sociologie ne me permettent pas d'expliquer? Peut-être que la signification religieuse de Noël a survécu, que l'esprit chrétien s'est simplement transformé d'une manière ou d'une autre. Je ne suis pas croyant et pourtant je prend plaisir à faire le sapin (rite à la base païen par ailleurs), à admirer les illuminations dans les rues, sur les places, à regarder les gens qui semblent plus heureux, qui sourient, qui souhaitent de joyeuses fêtes à des personnes qu'ils ne connaissent pas. Noël n'a pourtant aucune signification particulière pour moi, ni religieuse ni symbolique, c'est un jour comme les autres, mais je me sens bien car je ressens cette ambiance particulière. Peut-être est-ce ça, un sentiment général inexplicable... mais par quoi est-il déclenché? Quoiqu'il en soit, cette fête m'arrange bien, car je suis un opportuniste, comme beaucoup d'entre nous : on mange bien, les rues sont pleines de lumières et de couleurs, les gens sont contents, on reçoit et on offre des cadeaux, on a congé. Pas de quoi se plaindre, somme toute. Alors dans ces conditions, esprit de Noël ou pas, je vous souhaite à tous de joyeuses fêtes de fin d'année!

 

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PS : Voici un lien vers des bandes-annonces et extraits du film :  Joyeux Noël ; ainsi qu'une interview très intéressante du réalisateur.

Publié dans Panem et circenses

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C
Un titre en plus qui vient rallonger la déjà très longue liste des "Films pas encore vus mais à voir" ;) Je sais, ma culture cinématographique est aussi lacunaire que de la dentelle de Bruges...Mais je me soigne! En tout cas joyeux Noël hein dis! (oui, on est le 5 janvier, ET ALORS?)
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M
Oh cool les struffoles :D<br /> C'était dans les trois langues, c'est-à-dire que les Ecossais parlaient anglais (avec leur accent terrible et tous les "r" roulés), les Teutons parlaient allemand et les Français parlaient français, le tout sous-titré en français quand c'était nécessaire.<br /> Note que l'officier allemand (Daniel Brühl) parle un peu français, il se lâche à certains moments quand il parle avec l'officier français (Guillaume Canet).<br /> Dans les extraits dont j'ai posté l'adresse, il semble que tout ait été doublé en français, et c'est totalement nul, c'est comme regarder Der Untergang en français... on perd toute la saveur, les intonations et toute l'atmosphère que ça confère au film.
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P
C'était en quelle langue, au fait? Tu me l'as surement déjà dit mais bon... En tout cas, encore une fois j'ai vraiment bien aimé ce que t'as écrit. (Allez?!)<br /> PS: ...Je t'ai gardé des struffoles :P
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